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Feuilles d'automne

Planète Terre

Vivre en paix

La nature : espaces et clôtures, territoires et frontières

Dimanche 8 mars 2020 - Paysages colorés

Libellule, photo by James Wainscoat on Unsplash

Libellule - Photo by James Wainscoat on Unsplash

Quand j’habitais en ville dans un appartement, une fois franchie la porte d’entrée, j’étais chez moi, même si je n’étais pas propriétaire du logement. Cette porte faisait frontière entre mon territoire, espace fermé, privé, et l’espace public, ouvert, partagé avec d’autres personnes.

À présent, vivant à la campagne, la situation a complètement changé. Autour de la maison, il y a le jardin, enclos, et la frontière est déplacée au portail. Il est vrai que cette nouvelle frontière est poreuse : quelqu’un se permettant d’entrer dans la propriété et d’aller jusqu’à la porte d’entrée de la maison se trouve confronté à "la vraie frontière" entre vie publique et vie privée.

D’autre part, à la campagne, aussi bien la maison que le jardin sont des espaces partagés. Je partage la maison avec des animaux, souris, araignées, mouches, loirs… Et je partage le jardin avec rongeurs (mes poireaux mangés à la racine), blaireau (mes tomates), autours et renards (mes poules, mes canards), insectes et oiseaux de toutes sortes, sans parler de la végétation, bien sûr.

Renard, photo by Jiri Sifalda on Unsplash

Renard - Photo by Jiri Sifalda on Unsplash

Je m’estime chez moi, avec le sentiment de confort et de sécurité que cela procure. Pourtant, mes espaces sont partagés, souvent avec des animaux que je ne vois jamais. En particulier, la nuit, la propriété se transforme en un monde parallèle peuplé d’étrangetés, dont je n’ai que quelques échos, comme le chant du Grand-Duc, le soir ou la plainte éraillée du renard, ou seulement quelques traces le lendemain. Et la nuit, surtout par nuit sans lune, je ne me sens plus du tout chez moi. Dans le jardin ou dans la campagne environnante, je suis un étranger, un intrus, dans un territoire peuplé de fantômes, dont je ne perçois de la vie que quelques bruits.

De jour par contre, une fois sorti de la propriété, sur le chemin qui passe devant chez moi, je me retrouve dans un domaine public partagé avec les voisins, les promeneurs, le facteur. Et tout autour, ce sont les maisons et les champs des voisins, la forêt partagée entre plusieurs propriétaires. Pourtant, la campagne est également un espace partagé par toute une vie non-humaine, non seulement des chats, des chiens, des moutons... mais aussi végétation, insectes, animaux sauvages, des êtres vivants qui s’adaptent comme ils peuvent à la présence et aux activités des êtres humains.

Vol d’oies, photo by Gary Bendig on Unsplash

Vol d’oies - Photo by Gary Bendig on Unsplash

Quand je me balade, de jour, dans la campagne, c’est justement ce parfum de nature et ce rêve de nature sauvage, qui vivifient mon corps et mon esprit : je respire "un bon air". J’écoute vibrer l’âme de la nature, surtout en forêt. Et c’est pour ça que les bruits de tracteur et les chants de coq, les aboiements, les bruits des troupeaux me dérangent. Les activités humaines à la campagne viennent troubler mon plaisir, mon repos. Ce vieux réflexe archaïque me fait sourire, mais il est bien là. J’ai beau me dire que des gens travaillent à la campagne et que ma présence peut leur poser problème, j’ai beau me dire que, dans un espace dédié à la vie sauvage, ma présence serait exclue, j’ai beau savoir que je ne pourrais pas me balader dans une zone protégée de niveau 1, propriété privée, entrée interdite aux humains, je continue de rêver de grands espaces de nature qui seraient réservés à mon plaisir.

Broussailles et buis, photo Jacques Bouchut

Autour de la maison, j’avais laissé à l’abandon de modestes et dérisoires espaces sauvages où personne n’allait : des broussailles envahies de ronces, des espaces colonisés par les buis.

Arrivée de la pyrale du buis, photo Jacques Bouchut

En 2016, la pyrale du buis a ravagé les collines et en 4 ans les buis ont été ratiboisés, réduits à des squelettes de bois mort. La pyrale a ouvert des espaces qui étaient devenus impénétrables au fil des ans. Avec la lumière du soleil qui pénètre à présent, le milieu va évoluer, de nouvelles plantes vont pouvoir pousser à travers cette forêt de buis morts. Une autre vie va s’installer et proliférer.

Buis ravagé par la pyrale, photo Jacques Bouchut

Avant, on ne voyait rien. Maintenant, on voit et, pour le moment, c’est sinistre. La nature sauvage est moche. En forêt, le sol est défoncé par les sangliers, encombré de bois mort, de putréfaction. Des arbres morts sont à moitié effondrés. Ce qu’on voit de la nature, vivante, exubérante, c’est d’abord une nature morte, avant de voir ou deviner la vie grouillante.

Le jardin, héritier d’une nature sauvage domestiquée, permet, à l’opposé, de disposer d’un espace aménagé, entretenu, paysagé à son idée (et encore, le résultat est souvent éloigné des attentes initiales).

En plus de la ville et de la campagne, il faudrait vivre avec les 2 types de territoires, la nature sauvage et le jardin, séparés par des frontières. Une nature sauvage qui ne nous regarde pas, qui n’est pas à notre disposition pour du tourisme écologique et encore moins une prédation. Et un jardin à notre idée.

J’étais tenté d’installer des caméras thermiques autour de la maison. Pour voir la vie sauvage invisible dans un espace aménagé, mon jardin. Pour savoir ce qui se passe pendant que je regarde la télé ou pendant que je dors. Mais je ne l’ai pas fait. Ce monde parallèle, cette vie n’est pas la mienne, ne me regarde pas, ne m’appartient pas.

Pourtant j’aimerais bien voir, savoir. Qui vient dans mon jardin ?

Que reste-t-il des espaces de nature sauvage en France et ailleurs ? Où pouvons-nous restituer des territoires pour la vie sauvage ? En ville ? À la campagne ?

On peut toujours transformer de manière autoritaire tous les parcs nationaux en zone protégée de niveau 1 (interdites aux humains). Et déplacer combien de personnes ? Et les réinsérer sans maltraitance ? Guides et accompagnateurs, allez donc guider et accompagner ailleurs… Charmant ! Nous sommes englués dans la modernité. C’est un fait.

Il aurait fallu créer, quand c’était encore possible en France et en Europe, ces espaces de vie sauvage avec quelques scientifiques pour observer, étudier, apprendre à connaître ce dont nous ignorons presque tout. Et quelques gardiens des frontières qui nous en auraient restitué quelques vidéos. Mais voilà, on ne l’a pas fait.

Voyons ce qui va se passer maintenant, dans un monde sans frontière, sans territoires ni espaces, hors celui, unique, de la finance et du pillage.

Où est passée la diversité, la multiplicité du monde vivant ?

Photos non créditées : Jacques Bouchut

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