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Vivre en paix

Texte éveillé, texte endormi, tout dépend de la lecture

Samedi 5 juillet 2014, 07:57 - Du Vent dans les Branches

La mode est à la lecture publique d'extraits de romans. C'est économique, le commanditaire ne paie qu'un acteur au lieu d'une troupe avec metteur en scène. Les acteurs actrices se recyclent, bien obligés.

Aurait-on l'idée de lire du théâtre ou du cinéma ? Non. Pourtant, les dialogues des pièces de théâtre ou de films ont été écrits pour une lecture publique. Ou plutôt, ils ont été écrits pour être interprétés par des acteurs, mis en scène par un metteur en scène ou un réalisateur. Lus, ces textes sont morts : ils ont besoin d'être joués pour prendre vie. Ou encore, ces textes endormis sur le papier imprimé ou l'écran numérique, ont besoin d'être réveillés. Pour cela on fait du théâtre ou du cinéma, pas juste une lecture.

Par exemple, voici un extrait de dialogue :

Lui : Vous cherchez quelqu'un ?

Elle : Je ne sais pas. Je veux seulement trouver quelqu'un.

Lui : Ah ? Qui ? Garçon, fille, homme, femme ? Homme. Et vous connaissez son nom ? Non ? Vous savez où il habite ?

Elle sourit : Je ne sais rien.

Lui : Rien, hum ? Eh bien c'est un cas difficile.

Elle : Oui.

Lu comme ça, c'est cucu la praline. Si vous lisez à voix haute, c'est encore pire. Pourtant au cinéma, la séquence dans Les Ailes du désir de Wim Wenders est émouvante, avec les images et les sons, la mise en scène, le jeu des acteurs. Ce texte a été écrit pour le cinéma.

Un exemple encore pire, quand on lit sans se rappeler la scène : Il n'y a pas de plus grande histoire que celle que nous vivons, de l'homme et de la femme.

Les Ailes du désir, Wim Wenders

A lire cela, mort de rire ! Pourtant au cinéma... C'est à la fin du film, au bar, il a mis sa tête tout près de la sienne, c'est elle qui parle.

Aurait-on l'idée de lire un extrait de texte d'opéra ? Lire ou écouter lire, ça ne fonctionne pas, car le texte a été écrit pour la musique et par la musique. Autant le cinéma c'est des images et des sons, des dialogues, autant l'opéra c'est de la musique et des dialogues. Dialogues, monologues, qui ont besoin d'être joués, interprétés, chantés dans un contexte spécifique, pour qu'on éprouve des émotions complexes. Il suffit de constater comme il est difficile de dissocier les textes de la musique, quand ce sont par exemple les textes des chansons de Georges Brassens, Léo Ferré, Claude Nougaro... Echo parlant quand bruit on mène... Regarde-la ma ville, elle s'appelle bidon, bidon bidon, bidon ville, vivre là-dedans c'est coton... Vous entendez la musique ? Non ? Alors essayez avec votre chanteur ou votre chanteuse préférée.

Alors pourquoi ne pourrait-on pas lire en public (à haute et intelligible voix), des textes de romans ? Bien sûr on peut, on fait ce qu'on veut. Je comprends qu'on puisse prendre plaisir à lire à haute voix ou écouter le texte d'un roman lu par quelqu'un d'autre. Il arrive aussi qu'on n'ait pas d'autre possibilité de lire qu'entendre.

Pourtant, un texte de fiction est écrit pour être lu par un lecteur, une lectrice, dans un rapport intime au texte, comme une lettre de quelqu'un à quelqu'un d'autre. Autant le texte lu, en silence, sur le papier imprimé ou l'écran numérique, est un texte éveillé qui sollicite votre imaginaire, votre sensibilité, votre intelligence, dans ce dialogue particulier avec l'auteur invisible, autant le texte lu en public est un texte endormi, qui n'a que faire de la voix haute du lecteur, lequel traduit à votre place et dont l'interprétation fait écran à la vôtre.

La lecture publique d'un roman, d'un texte de fiction est une trahison de l'auteur, un viol collectif.

Et la poésie alors ? Tout dépend si le texte a été écrit pour une lecture individuelle et directe du texte, dans un rapport d'intimité entre le lecteur et l'auteur, ou s'il a été au contraire écrit pour la déclamation, l'exposé publique à haute voix, ou encore pour le jeu d'acteur, pour la mise en scène. La poésie se prête à toutes sortes de lectures, car le texte poétique est construit sur une succession d'images, de sons, de musiques. Le texte du poème est métaphorique. Un poème, c'est autant du texte que du cinéma.

Encore une chose : comment lire en public un texte numérique, avec ses liens, images, vidéos, musiques ? Hé, hé... voilà une idée contradictoire de mise en scène acrobatique. Là encore, autant de lecteurs, autant de lectrices, autant de chemins de lecture. La mise en scène de la lecture publique n'en proposera qu'une, pas forcément la vôtre.

Enfin, une lecture à plusieurs lecteurs ne théâtralise-t-elle pas un texte qui n'a pas été écrit pour cela ?

Bref, je trouve dommage qu'acteurs et actrices soient réduits à lire au lieu de jouer, parce que la société a fait le choix imbécile de laisser des hyper riches piller la planète, au lieu de partager les richesses. La culture, la culture, elle a une drôle de gueule la culture. Une gueule d'atmosphère irrespirable.

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