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Vivre en paix

Paysage numérique à forte variation saisonnière

Samedi 28 septembre 2013, 11:04 - Du Vent dans les Branches

Dans l'univers numérique, en publiant un commentaire le lecteur est devenu lecteur, auteur, éditeur, un lecteurweb, en même temps que l'écrivain devenait auteur, éditeur, lecteur, un webécrivain. Le blog a réinventé le carpe diem. Pour la première fois, nous avons la possibilité non seulement de réagir dans l'instant de la lecture, d'exprimer nos émotions, mais également de les rendre public en les publiant. Réagissant au fil de l'actualité, le lecteurweb s'autorisera peut-être à écrire des billets sur son propre blog.

Alimenté de toutes ces émotions réactives instantanées, le grand journal du web est devenu un éternel instant présent, sans passé ni avenir. Seule compte la nouvelle news sur laquelle il faut réagir par une nouvelle contribution venant écraser la précédente, toutes les précédentes.

Avancée de la démocratie, certes, chacun pouvant intervenir sur la place du marché. Cependant, le blog est aussi un piège, chacun ayant la possibilité de céder à la facilité de la réaction immédiate, de la parole éphémère, de l'expression d'émotions volatiles, déconnectées du passé et de l'avenir. Plus d'histoires, que des journaux.

Très bien, plus d'histoire. Juste un éternel présent qui flotte en suspens au-dessus du réel, chacun croyant tenir le monde par la barbichette en pensant le décrire par une sélection aléatoire d'informations parmi d'autres (est-ce qu'on peut décrire l'ensemble des faits et gestes de la journée par un inventaire précis et minutieux ?).

Donc plus d'histoire, plus de recul sur ce que l'on vit au fil du temps, plus de réflexion sur les événements passés, sur l'avenir, les projets, les attentes. Juste un grand vide éternel, le coeur battant.

Au début des années 1960, cheveux longs idées courtes, sortant des préjugés et de l'obsession du passé, on a appris à vivre le présent, à exprimer ses émotions, à tenir compte de ses intuitions. Fin de la morale bourgeoise, c'est pas comme ça que, tu dois, il faut. Maintenant c'est tout le contraire. Pourtant il y a urgence à sortir de son moi profond et de son ressenti afin de retrouver les vieux réflexes cartésiens : information, réflexion, jugement, action, information...

Le web serait donc un grand journal qui s'alimente sans cesse de contributions multiples et renouvelées, chaque nouvelle publication écrasant les précédentes, les rejetant dans le passé, autant dire c'est mort. Dans cette partie du web, chaque contributeur, chaque artisan de l'éternel présent est poussé ainsi à contribuer à nouveau.

A écouter cette parole publique, je pense à mon chien qui fait ça très bien, vivre le présent, réagir à toute nouveauté à portée d'oreille, un oiseau qui chante dans les branches, il court aboyer au pied de l'arbre, une guêpe qui vrombit, la tête tourne dans tous les sens la gueule ouverte, un lézard qui s'enfuit dans les herbes, et hop il saute dans les broussailles, une voiture passe et le voilà hystérique le long de la clôture.

Le chien joue dans le jardin

Mon chien n'écrit pas son journal. Il le vit à chaque instant, sans recul, sans mémoire, sans histoire.

Le chien dans les plantes

Pourtant, l'intérêt que je vois dans le web actuellement, et la chance que j'ai, me dis-je, c'est de pouvoir participer à la construction de ce nouveau monde. Chacun de nous, vivant pour le moment, peut alimenter comme il l'entend le grand journal avec ses dires maladroits, ses tentatives d'écrire autrement, ses webalbutiements. Nous, bébéwebs agrippés à notre webiberon, sourions béats en écrivant, rédigeant, témoignant, imaginant l'avenir. Avec émotions, artistes du présent nous déposons nos oeuvres numériques dans la mémoire digitale du monde.

Notre monde. Pour le moment.

Photos Jacques Bouchut

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