Par la fenêtre
Samedi 16 mars 2013, 16:16 - Parcs et Jardins
Bien sûr, vous vous souvenez de lui. Assis devant la fenêtre. Ce gros bonhomme sur son estrade, que voyait-il ? regardant par la fenêtre. Le regard plongeant du premier étage de l'immeuble. Le regard plongeant sur la fontaine, caressant le pavé, embrassant les passants. Regardant un au-delà des choses, quelque part en mémoire. En mémoire endormie. En mémoire endormie, assoupie, tenue serrée comme il tenait autrefois son boxer. Il n'en n'a plus la force. Il n'essaierait même pas. Plus maintenant. C'est qu'il ne demandait qu'à courir, le Brutus.
Il y a des regards qui vous sautent sur une idée. Ils la mordent et ne veulent plus lâcher. Alors une fois, deux fois, passe encore. Si ce n'est qu'un os à ronger. Mais, il y a des diables que l'on ne veut plus trop réveiller. Parce que ça mord diablement, ces idées. Ces idées qui dorment l'air de rien. Derrière l'eau qui coule aux fontaines. L'eau qui ruisselle sur les pavés luisants, le soir. Le pavé gras de lumière réverbère.
Il y a des idées comme ça qui vous sortent de l'ombre. Quand on ne s'y attend pas. Un soir de pluie sur le pavé. Un soir d'ennui ou un après-midi.
Vous êtes collé. Et le proviseur du collège, couloir, secrétariat, salle d'attente, bureau, c'est lui qui vous annonce : Mon garçon, votre grand-père est mort.
Mais de quel droit ? de quel droit mon garçon ? et de quel droit mentir. Menteur ! La preuve : vous n'êtes pas libéré de la punition. Vous restez ce samedi soir avec les autres. Tous ceux qui vont passer le dimanche au collège. Punis ou pas punis, cela revient au même : ils sont punis. Vous ne pouvez pas imaginer que l'un des garçons de ce collège, ou l'une des filles de ce collège puisse rester, ici, par goût. Ici non. Par goût non.
Mais le dimanche, on vient vous chercher. Le dimanche matin. C'est votre père, qui d'autre ? Vous ne vous souvenez plus. Il n'a peut-être pas dit : Mon garçon. Seulement : Votre grand-père est mort. Mais c'est complètement impossible, vous le savez. Pourtant vous roulez sous la pluie. Vous êtes déjà dans la douleur de votre grand-père. Avant de comprendre. Avant d'accepter l'impossible. Avant de l'éprouver cette douleur. Vous...
Oh oui, vous vous en souvenez. Il est devant sa fenêtre et il regarde. Et maintenant, vous savez ce qu'il regarde par la fenêtre. Ce gros bonhomme. Ce gros bonhomme à la grosse voix : Conon d'eau douce ! Mais vous avez filé dans le couloir. Vous avez filé devant la canne levée. Devant la canne levée et ce regard.
C'est le regard en colère de votre grand-père. Dans le couloir. Il ne peut pas courir, lui. Courir après vos bêtises. Vos bêtises de gamin, ça non.
C'est ça qu'il regarde par la fenêtre, votre grand-père. Vos bêtises de gamin. Et ça se mélange avec ses bêtises à lui. Et ça non, il ne peut plus courir. Il ne peut plus courir derrière son enfance, ni devant la vôtre. Quand il assiste à vos jeux turbulents. Et comme il ne sait pas quoi dire, un mot d'amour. Alors c'est ça qu'il dit dans le couloir : Conon d'eau douce !
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