Ordre et fonction, la société hiérarchisée commence dans la famille
Jeudi 5 juillet 2018 - Paysages colorés
Il y a la réalité. Quand on est père ou mère, quand on est le frère ou la sœur de l’un des parents, c’est définitif, c’est la vie, c’est un fait qui remonte à la génération précédente, on dira les grands-parents. Il y a l’idée qu’on se fait de la réalité. Mon père, ma mère, mon oncle, ma tante, etc. Il est comme-ci, elle est comme ça. À chacun ses idées.
Les parents ont passé plus de 20 ans à éduquer leurs enfants. Rien d’étonnant à ce qu’on soit toujours perçu comme le père ou la mère de ses enfants, quand vous les voyez à tout âge exclusivement comme vos enfants, qui eux ne vous voient que comme parents. D'où les conflits de frontières entre adultes.

Mon oncle, Jacques Tati 1958 - Une complicité dans la fuite de l'ordre établi
Par contre je trouve vexant qu’un oncle ou une tante soit perçu exclusivement dans son rôle de "Tata" ou de "Tonton" par leurs neveux devenus grands, leurs nièces devenues grandes. D'autant plus que nous n'avons jamais joué, avec eux, aux parents qui éduquent leurs enfants.
En effet, nous appartenons à une génération d’oncles et tantes qui ont cassé les codes, en refusant de jouer au tonton et à la tata, en contestant les jeux d’obligation, quand les uns et les autres devaient se comporter d’une certaine manière et pas d’une autre. Malheureusement, neveux et nièces, chacun continue de se percevoir enfant qui se fait gronder par un adulte, enfant qui reçoit des conseils, enfant qui se fait critiquer. La hiérarchie naturelle s’impose en toutes circonstances, ces jeunes devenus adultes continuent de réclamer leur biberon.
En conséquence, aucun échange à égalité n’est possible sans récrimination. Oncles et tantes se voient accusés de position dominante et ne peuvent pas sortir de l’ordre familial établi une fois pour toutes par leur fonction.
Même s'ils sont contents d'apprendre, d'avoir un autre point de vue, de modifier leurs idées, en écoutant ces gens plus jeunes qu'eux, ils ne peuvent plus donner des informations, vulgariser des connaissances, échanger des expériences, proposer des solutions à des problèmes, donner leur avis, discuter de leurs opinions et convictions, dans une relation d’adulte à adulte. Ils sont mis en demeure d’être de bons tontons et de bonnes tatas, des membres de la famille uniquement à l’écoute de leur neveu ou nièce.
En conséquence, en réponse aux demandes des plus jeunes, les plus âgés sont pris dans des échanges inéquitables. Dès que vos propos dérangent, ne sont pas conformes à l’image que votre neveu ou votre nièce a de la relation familiale (il n’y en a pas d’autre), il vous reproche d’être sûr de vous (lui n’a aucune certitude), elle vous reproche de vouloir lui apprendre des choses (elle n’est plus à l’école), ils vous en veulent de s’immiscer dans leur intimité ou au contraire de ne pas répondre à leurs attentes confuses. Pourtant ces handicapés stressés pourraient profiter du cadre familial pour tenter des échanges en toute sécurité, pour expérimenter de nouvelles relations, mais non. Ils préfèrent le chantage affectif : si tu refuses de jouer ton rôle, si tu continues à m'agresser, je ne viens plus te voir.
Grands-pères grands-mères ont la même obligation à jouer leur rôle de baby-sitter et de grands-parents gâteaux, même s’ils ont également d’autres intérêts dans la vie, d’autres envies.
Ces enfants gâtés par une éducation basée sur une hyperprotection, ont difficilement appris à gérer les relations conflictuelles. Ce sont des handicapés réfugiés dans une position où on refuse d’apporter son expérience de la vie, ses connaissances, ses avis contradictoires, ses opinions incompatibles, parce que la contradiction vous stresse.
Ainsi, par fuite dans un rêve d’harmonie du moi profond, parce qu’ils ne sont pas prêts, à cause de leur ressenti, la relation adulte adulte entre les enfants devenus grands (eux-mêmes adultes) et leurs grands-parents ou leurs oncles et tantes est impossible. La systémique ne fonctionne pas par refus des petits-enfants neveux nièces. Tout simplement ils ne veulent pas vous voir autrement que comme une étiquette dans l’arbre généalogique. Ils refusent d’accorder le moindre intérêt à ce que vous faites en dehors de vous intéresser à eux, de vous occuper d’eux. Les grands-parents consolent leurs petits-enfants. Oncles et tantes écoutent et ferment leur gueule.
C’est ça la société des adultes à son premier niveau, celui de la famille. Ordre et fonction, la société hiérarchisée commence dans la famille.
Chacun à sa place.
Le choix, semble-t-il, consiste soit à tenir votre position dans une ambiance désagréable et une relation qui s'amenuise au cours du temps, soit à jouer le jeu qu'ils attendent de vous pendant le bref moment de leur visite. Mais attention si vous jouez, terrain miné, il vous faudra une bonne préparation mentale avant leur arrivée, si vous n'êtes pas une excellente comédienne, un excellent comédien.
En général les grands-mères sont très douées avec leurs petits enfants. Mais vous ?
En ce qui me concerne, je préfère jouer les tontons flingueurs. Je le fais ici avec délices et ça ne dérange personne. Car ils ont bien autre chose à faire qu'à lire votre littérature. On peut comprendre : maintenant, ils sont grands.
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