Cheminée de printemps
Mercredi 11 juin 2014, 10:12 - Landes et Forêts
Printemps gris, journée de pluie
Le bois craque dans la cheminée, orangée. Des flammes jaune soucis courent le long des branches noircies et dansent au-dessus des braises.

Une chaleur agréable et parfumée envahit la grande salle humide et sombre.
De temps à autre, elle bouge un bois, rassemble quelques tisons, rajoute une petite branche pour ressusciter la flamme vacillante, qui s'avive et court à nouveau sur le bois, l'enveloppe, se faufile entre les branches, lance des pointes vives et fugaces qui disparaissent parfois en vols d'étincelles rouges, qu'une légère fumée évapore en montant.
La plupart du temps on ne voit rien. Le bois sec brûle sans fumée. Pourtant quelque chose s'élève au-dessus du feu, monte dans un léger ronflement et disparaît. Comme un souffle du feu, un soupir avant de s'endormir. Il finit toujours par se rendormir, le feu, bercé par la chaleur et la chaude lumière qu'il a produit avec une vivacité éphémère.
Elle s'est laissé distraire, probablement. La voici à nouveau ajoutant quelques branchettes qui brûlent aussitôt posées sur les braises. Et les flammes, qu'elle a ranimées, reprennent leur danse autour des grosses branches.
Il arrive qu'elle doive insister pour les réanimer lorsqu'elles se sont éteintes. Avant qu'elles ne meurent tout à fait. En effet, gros bois sur braises ne fait pas de flammes : le bois se consume lentement sans craquements, ni ronflement, ni flammes. L'esprit du feu ne virevolte plus dans la cheminée. Le bois brûle, mais le feu est mort, le spectacle est fini.
Hiver gris, jour blanc de neige.
Le bois vert en repos hivernal craque sous le poids de la neige collante. Les branches ploient. Il neige encore et encore. Doucement, tranquillement, dans un silence cotonneux, pas un souffle d'air. Au fil des heures la neige s'accumule sur les branches qui résistent, on le sent, elles résistent. Le paysage des arbres sous la neige est magnifique. Puis les premières branches d'érables cassent en éclats dans un bref claquement et s'effondrent. Parfois elles restent suspendues par une langue de bois qui à écorcé le tronc. Parfois la branche a éclaté dans sa longueur. Les pruniers sauvages sont massacrés les uns après les autres. Le paysage de neige est parcouru ainsi de cris brefs, de plaintes. Toute la colline craque en explosions de neige qui s'effondre avec les branches cassées.
Bientôt, jardin et collines ne sont plus que paysage de désolation enseveli sous la neige. Les arbres pointent des bouts de branches arrachées ou fracturées. C'est l'hiver des squelettes. Et le printemps suivant, le fossoyeur à l'oeuvre avec sa scie élague et coupe et range le bois pour qu'il sèche tout l'été au soleil.
Elle est triste devant ce spectacle magnifique de la neige qui tombe, encore et encore. Plus tard, elle est désolée devant ces accumulations de branches, on ne sait plus où les entreposer. Plus tard encore, devant la cheminée elle sourit et s'active avec ses branchettes, petit bois, gros bois. Elle tournicote comme une gamine autour du feu à titiller les flammes pour qu'elles vivent et dansent dans la cheminée. Un esprit joueur et invisible s'envole en légères fumerolles.
Cheminée, tout a changé.
Tiens, les chenets ne sont plus à la même place. C'est elle, évidemment, qui voulez-vous que ce soit ? Par l'une des extrémités, 2 bois reposent sur les braises, une grosse branche de sureau par-dessus une branche de merisier dont l'odeur de miel flotte dans la pièce. Sur l'un des chenets en travers, entre les 2 branches, des bouts de bois plongent dans les braises et finissent de se consumer, faisant virevolter des flammes orange aux reflets violets fugitifs.
Plus tard, tout a encore changé : le sureau continue de se consumer alors qu'une branche d'érable a remplacé le merisier. Les 2 chenets, légèrement déplacés, supportent à présent les bouts de branches qui alimentent, par l'autre extrémité, des flammes tremblotantes.
C'est elle, bien sûr, qui est revenue s'occuper du feu. Pourtant il n'y a personne d'autre que moi ici. Tout seul. Est-elle passée pendant que je relisais Moderato cantabile ? Vous savez Moderato ça veut dire modéré, et cantabile ça veut dire chantant, c'est facile.
Ou bien, aurais-je alimenté le feu, déplacé les chenets pour cela et ensuite oublié ? Oh non quand même. N'exagérons rien. Juste une petite distraction habituelle. Et puis quand on lit, on oublie. Tout le monde sait cela. Sauf ceux qui boivent au lieu de lire, ceux qui frappent leur femme, maltraitent leurs enfants, ceux qui dealent, pillent, criment et délitent. Croyez-moi, ils feraient mieux de lire ou jouer du saxo.
La musique, pour oublier.
C'est bien aussi. Et puis ça fait un joli bruit : les notes s'envolent en riant, mais on ne les voit pas, les notes, on les entend seulement. On les entend chanter, rire ou pleurer, ça dépend des moments. On les entend avant qu'elles disparaissent. Les notes, elles sont invisibles. Comme le vent. C'est dans les branches qu'on voit le vent agiter les feuilles.
Le saxo ténor et le violoncelle chantent dans les mêmes tonalités, le violoncelle sur plus de 3 octaves. Le saxo ténor un peu moins, il vibre en fréquences sonores entre 100 et 600 hertz (environ). Le piano, ce n'est pas la même musique : il grimpe et dégringole 7 octaves, entre 30 et 2200 hertz (environ). Piano, orgue et harpe peuvent jouer tout ce qu'on veut. Ce sont des instruments à tout faire.
Bien entendu, c'est le musicien qui joue. Il ou elle fait la musique avec ses 2 mains. Au piano, 2 séries de notes en même temps. Au saxo, une seule note à la fois. Pas question de plaquer des accords sur la mélodie avec un bois, saxophone, clarinette, hautbois. Le musicien se concentre sur une seule ligne musicale. Au saxo on ne fait pas tout. On joue c'est tout. Modestement.
Ah zut, le feu dans la cheminée a encore changé sans que je m'en rende compte. Rien vu, juste entendu le saxo. C'est pas croyable.
Si ce n'est elle, c'est lui, l'esprit moqueur, le génie du feu dans la cheminée. Ou bien les fées de Trois vies et une seule mort ? Marcello ? Personne.
Je me fais des idées, peut-être. Les flammes dansent, courent et volent pendant que les mots s'alignent sur la feuille de papier, au gré des notes jouées l'une après l'autre au saxo ténor. Une musique en or pour ceux qui lisent.
Et oublient.
Pharoah Sanders - Harvest Time (Pharoah, 1976 - 20 mn)
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