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Feuilles d'automne

Planète Terre

Vivre en paix

Parcs et Jardins

Feuilles tombées de manuscrits : des extraits de mes livres, publiés en lèbes.

Le roman du fragmeur

Textes en provenance d'un manuscrit de 1980-99, publié sous le nom Un autre livre, mars 2014 / juin 2015.

Par la fenêtre

Bien sûr, vous vous souvenez de lui. Assis devant la fenêtre. Ce gros bonhomme sur son estrade, que voyait-il ? regardant par la fenêtre. Le regard plongeant du premier étage de l'immeuble. Le regard plongeant sur la fontaine, caressant le pavé, embrassant les passants. Regardant un au-delà des choses, quelque part en mémoire. En mémoire endormie. En mémoire endormie, assoupie, tenue serrée comme il tenait autrefois son boxer. Il n'en n'a plus la force. Il n'essaierait même pas. Plus maintenant. C'est qu'il ne demandait qu'à courir, le Brutus.

Il y a des regards qui vous sautent sur une idée. Ils la mordent et ne veulent plus lâcher. Alors une fois, deux fois, passe encore. Si ce n'est qu'un os à ronger. Mais, il y a des diables que l'on ne veut plus trop réveiller. Parce que ça mord diablement, ces idées. Ces idées qui dorment l'air de rien. Derrière l'eau qui coule aux fontaines. L'eau qui ruisselle sur les pavés luisants, le soir. Le pavé gras de lumière réverbère.

Il y a des idées comme ça qui vous sortent de l'ombre. Quand on ne s'y attend pas. Un soir de pluie sur le pavé. Un soir d'ennui ou un après-midi.

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C'est vrai

Comme c'est drôle : vous semblez tous si jeunes. Attendrissant. Papa, maman, oncles et tantes, les enfants. Sur cette photographie, et sur celle-ci.

Vieille photo de famille

Il n'y a que grand-père qui n'a pas vieilli dans la vie. C'est même tout le contraire : ce sont les vieilles photos qui ne sont pas vrai. Ou alors un vrai mensonge. Lui ? votre grand-père ? Un étranger plutôt.

Vieille photo de couple

Oh non ! votre grand-père, ce n'est pas lui. Vous ne l'avez jamais connu ainsi. Aussi jeune. Dire ça, aussi jeune, c'est idiot. C'est vieux, que vous pensez. C'est vieux, qu'il a toujours été pour vous. Vieux, c'est ça votre vérité pour lui, sa réalité pour vous.

Comme c'est étrange cette façon de mentir. Ces photos, plus elles font vraies, plus elles vous mentent. Elles vous mentent les vieilles photographies. Et les souvenirs : reconstitution, reconstruction. Ce lent travail de la mémoire. Votre mémoire et la mémoire des autres. Plus ça sonne vrai et plus c'est faux.

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Septième nocturne

Derrière la vitre électrique, le rivage de la Mer de tranquillité défilait en silence limpide. Joz aimait beaucoup le contraste des couleurs, entre le rivage clair, la mer grise, le ciel bleu sombre, presque noir. Les 3 parties, séparées par 2 frontières, une ligne sinueuse au rythme des vagues déferlant sur le sable, une ligne rectiligne à l'horizon, en fait une surface grise dans des nuances de vert, mouvante agitée turbulente, les 3 parties du tableau forment l'ensemble, indissociable, qu'il interprète froid, figé, explosif, qui évoque pour lui l'esprit en sommeil. Ou plutôt une vigilance de l'esprit. Comme s'il y avait de l'esprit dans ce bleu particulier, du sommeil dans ce gris-là, et quoi ? une force ? une énergie ? une vibration ? C'est un sommeil à la façon qu'ont les chats de dormir l'oeil-oreille ouvert. Vigilance involontaire, naturelle, inévitable...

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Stromboli

Texte en provenance d'un manuscrit de 1997.

Bon balayer !

Badh posa les mains sur le volant de sa voiture. Presque au sommet. Bras tendus. Il regardait droit devant, à travers le pare-brise. Devant, il n'y avait rien. Juste une voiture garée derrière une autre un peu plus loin. Le long du trottoir. Sous les platanes. Badh, le regard perdu dans le vide, ne voyait rien. Il regardait devant lui, mais ne voyait rien. Il ne voyait pas la contravention glissée sous le balai d'essuie-glace. Celui de droite, côté passager, près du trottoir.

Au bout de quelques instants comme ça, plusieurs minutes peut-être, allez savoir, on perd la notion du temps dans ces moments d'hypnose, les perceptions se réduisent à pas grand chose pendant que l'on est perdu dans ses pensées, on ne voit plus rien pendant que l'on se parle dans sa tête, on n'entend plus rien pendant que l'on imagine des choses, plus rien de la vie ordinaire, c'est ça, la vie ordinaire, la vie de tous les jours... La banalité quotidienne est remplacée par une autre réalité. Dans la tête. La réalité des idées, croyances, certitudes, pensées, souvenirs, phantasmes, créations de l'imagination. Croyances et certitudes, où est la différence la plupart du temps ? Imagination, cinéma, théâtre, dialogues radiophoniques. Cette réalité là efface l'autre. La dure réalité des objets, des choses, des gens, des amis, de la famille, des relations de travail, de telle et telle personne en particulier. C'est ça : en particulier ! Le lampadaire. Ça fait mal un lampadaire. On n'imagine pas avec quelle force ça vous envoie valdinguer par terre. Quand on marche tranquillement sur le trottoir. Sans embêter personne.

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Almandine

Textes en provenance d'un manuscrit de 1998, publié en mai 2016.

La valse des soupirs

... Alfrèdo était en train de vivre une étrange expérience, celle d'une musique qu'il composait comme d'autres dessinent des lignes pour le plaisir, sans autre intention que la ligne, des lignes qui ne voulaient pas dire une maison ou un oiseau, ou une fleur, pas de façon figurative en tous cas; ensuite, il avait l'impression que la musique continuait de s'écrire comme on écrivait un texte, de façon très libre au début, et puis l'histoire s'installait à notre insu, réduisant de plus en plus le champ infini des possibles à un territoire particulier dans lequel il devenait possible de tracer tel ou tel chemin; et puis, au gré des rebondissements, l'histoire se déroulait, sinueuse et ramifiée, à travers le labyrinthe de notre imagination, les différents personnages inscrivant un itinéraire au fur et à mesure de leur apparition et de leur disparition, disparition temporaire, parfois définitive.

Mais peut-on disparaître de façon définitive ?

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L'invention de la réalité

Véronique inspecte la collection de CD, en choisit un et le glisse dans le lecteur. Puis, elle jette un coup d'oeil aux livres posés sur un coin du bureau d'Almandine. Paul Watzlawick. Le langage du changement. L'invention de la réalité.

- Hé ! ... On peut inventer des idées, mais la réalité c'est la réalité !

Elle prend le livre et le feuillette.

Mozart. La musique emplit la chambre en douceur et chasse dans un autre monde les faibles bruits qui parvenaient, l'instant d'avant, à pénétrer malgré le double vitrage de la fenêtre fermée.

- C'est toi qui lis ça ? Almandine.

- Non, c'est mon chat. Il préfère ça à Sheba.

Elles éclatent de rire.

- C'est bien ?

- Je te l'ai dit : tu ne peux pas vivre sans Watzlawick. Vivre intelligemment.

Véronique repose le livre et va s'asseoir dans le fauteuil près de la fenêtre.

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Petites flammes tremblotantes d'un feu d'automne

Texte en provenance d'un manuscrit de 2001, publié en mars 2016.

Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ?

Le rocher. Chaud. Elle sent le grain du granit sous les doigts. Le bout de ses doigts. Ça fait mal. Elle est en équilibre sur l'extrémité des chaussons. Le corps rejeté en arrière, décollé du rocher, elle tient comme par magie sur 4 petites prises dérisoires, un peu à la façon des gerris, ces insectes qui se déplacent sur les plans d'eau du bout de leurs pattes. Sauf que son plan à elle est vertical. Ou presque.

En fait, Tchazaël tentait de passer un bombement du rocher, un léger surplomb. Ce passage était le plus difficile, sur la septième longueur de la voie, après une escalade en tête extrêmement technique et soutenue. Le topo indiquait : ED +, 300 m, 6c / 7a obligatoire.

Ça va marcher. En un instant, elle vient de visionner dans sa tête 3 images parcellaires, en partie floues comme ces photos prises au téléobjectif : la prise, au-dessus, une protubérance juste pour le bout des doigts; la prise de main libérée à droite sur laquelle elle posera l'extrémité du chausson; la prise lâchée par la main gauche pour le pied gauche. Je me détends sur mes deux jambes et je lance la main droite. Facile.

Non, pas facile : j'ai déjà volé deux fois.

Il fallait sauter pour attraper la prise au-dessus, à droite du spit. Le spit dans lequel elle accrochera le mousqueton de la dégaine. Puis, elle passera la corde dans l'autre mousqueton, à l'autre extrémité de la dégaine, pour l'assurage. Après. Après avoir réussi le passage. Quand elle pourra libérer la main gauche. Elle jeta un coup d'oeil sur la prise. C'est haut.

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Instantanés

Textes en provenance d'un manuscrit de 2000-2001, publié en juillet 2016.

C'est écrit dans un livre

Ils sont entrés dans une librairie.

Vous savez s'ils se sont parlé, ce qu'ils se sont dit en marchant dans les rues ?

Là tout de suite, ils ne se parlent pas. Ils consultent des livres dans des rayons différents. Ils suivent leur inspiration. Chacun suit un chemin différent selon ses préférences. On croit faire la même chose. Eh bien non. On croit, ça oui. On ne fait que ça croire et croire et croire. Et après on s'étonne. On est déçu, déçue, déçus et on s'étonne. Incroyable. On s'étonne que la réalité ne corresponde pas à la fiction que l'on a dans la tête (où pourrait-on l'avoir ailleurs que dans la tête ?). Voilà : on croit. Incroyable.

Mais on lit aussi. On lit au lit. Par exemple. Mais pas dans une librairie. Dans une librairie on choisit. On feuillette, on papillonne, on s'informe, on se fait une idée.

Elle, par exemple, elle prend un livre, regarde la couverture, jette un coup d'oeil au dos du livre, le retourne et l'ouvre, tourne les premières pages, lit quelques lignes du début...

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Aeschne bleue

Assise sur la pierre qu'elle avait installée à l'ombre du sureau, les bras sur ses cuisses, Majee observait la mare, dont la surface renvoyait une image inversée du monde : les arbres et les arbustes s'élevaient vers le bas et découpaient branches et feuilles en ombre brune sur fond clair de ciel couvert. Lorsque le regard décrochait de l'illusion de profondeur, on remarquait alors, flottant à la surface de l'eau, échouées sur les rives sombres, les premières feuilles rouges que le vent d'automne avait envolées.

Dessin

La terre humide, granuleuse et sombre du rivage, du rivage oui, faisaient ressortir les griffures vertes des quelques brins d'herbes qui poussaient ça et là. Sur le talus du côté des pompons jaunes, 3 plans d'iris des marais, qui se développeraient au printemps, dressaient de façon absurde leurs 2 feuilles écourtées.

Soudaine apparition vivement colorée, une libellule traversa de son vol saccadé la surface de l'eau et vint se planter devant le visage de Majee...

Dessin Jacques Bouchut, 1983

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Clair obscur

Ils sont assis côte à côte, chacun dans son fauteuil. On ne les voit pas. Pour les voir, il faudrait descendre jusque devant l'écran et se retourner : ils sont assis parmi les autres spectateurs. Tous ces gens sont plongés dans l'obscurité lunaire et bruyante de cette salle de cinéma. Beaucoup trop bruyante actuellement, on dirait que les gens sont sourds. Tous ces gens, le regard fixé sur l'écran, regardent par la fenêtre ouverte.

Apocalypse now

Ils sont muets, frappés de stupeur et ils regardent ce qui se passe quelque part ailleurs dans le monde de leurs rêves, de leurs désirs. Ils ne regardent pas vraiment, à vrai dire, ils vivent. Ils vivent chacun à sa façon, cette histoire bizarre qui se déroule sous leurs yeux. Mais, vous le savez autant que moi, là tout de suite, ce soir dans cette salle, il ne se passe rien. Il ne se passe rien de cette histoire qu'ils vivent dans leur tête, avec leurs expériences, leurs sentiments. Avec leur esprit d'analyse, leur capacité à faire la synthèse, ils comprennent ce qui ne se passe pas...

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